Il ne fait aucun doute qu’un grand nombre d’entreprises ont gagné en maturité dans les domaines de la Data et de l’intelligence artificielle.
D’après l’édition 2024 du baromètre des Directions Data d’Ekimetrics, 58% des produits décisionnels et IA développés atteignaient l’industrialisation en 2023, soit une hausse de 25% sur un an.
Effet ChatGPT ou pas, les produits d’IA occupent en parallèle une place croissante dans le portefeuille de projets des organisations : 40% en 2023. Plusieurs facteurs peuvent expliquer cette progression, dont les efforts d’acculturation menés jusqu’à aujourd’hui ou la décentralisation de compétences Data auprès des métiers, mais également de la DSI.
Mettre l’IA au service de “changements audacieux”
Didier Mamma, Vice President Advanced Analytics & AI Innovation de Decathlon souligne que “la véritable valeur de l'IA ne réside pas dans l'amélioration incrémentale de l'existant.” Selon lui, “il s'agit plutôt de permettre des changements audacieux et sans précédent dans un modèle d'entreprise existant et potentiellement vieillissant.”
Suffirait-il donc de jeter la pierre aux départements data et leur CDOs, de leur reprocher son absence d’audace et son désintérêt pour les préoccupations véritables des métiers ? Ce serait commode, mais non. À La Banque Postale, dont le Data Office repose sur une organisation hybride, les métiers sont impliqués directement. Mieux, ils se doivent d’être des sponsors actifs des cas d’usage.
La banque n’est pas la seule à pousser en ce sens. “Chaque projet est soumis à une analyse de la donnée et du ROI, et sous condition d’un sponsorship. Le sponsor s’engage à financer 50% des coûts. Le métier consacre de l’argent et des ETP métier au projet pour délivrer le projet en mode agile”, décrivait déjà en 2022 Chafika Chettaoui, actuelle CDO d’Axa France.
L’approche est comparable chez l’industriel de l’eau et des déchets, Suez. Au travers d’une démarche Data Mesh, le métier du tri est au premier plan. Il ne se cantonne pas à rédiger un cahier des charges. Les exploitants d’usines, acteurs impliqués, doivent ainsi retrouver de l’ownership et participer à la création de Data Products.
Le CDO ne part donc pas d’une feuille blanche. Il a bâti des ponts avec les métiers. Il intervient bien souvent aussi en Comex pour évangéliser sur le potentiel de la Data et de l’IA - bien que seulement 13% soient directement rattachés au COMEX.
Harmonisation des données à l’échelle de l'organisation, une priorités des C-suites
Les dirigeants, et particulièrement les responsables des données, doivent s'aligner plus étroitement avec la stratégie de l'entreprise et jouer un rôle de conseiller stratégique. Le rôle du CDO évolue pour dépasser celui du “simple DOer" ou de “l’évangéliste des données”.
“Les Data Offices semblent vouloir dédier leur force de frappe en tant que DOer à la réalisation de cas d’usages stratégiques pour le groupe et déléguer la réalisation de cas d’usages tactiques aux équipes métiers afin de se concentrer sur leur rôle d’enabler”, constate d’ailleurs le baromètre des Directions Data.
Mais encore faut-il en parallèle que métiers et dirigeants aient une vision claire des possibilités et de long terme pour ne pas focaliser uniquement leurs attentes sur les améliorations incrémentales, l’optimisation de l’existant et les quick wins. Plusieurs leviers sont à enclencher pour opérer une telle transition.
Selon Ekimetrics, la clé du succès réside dans l'idée de “placer la data et l’IA dans l’agenda des décideurs” afin de “passer de l’acculturation à l’action”.
Le Data Office doit aussi s’efforcer de s’inscrire dans les transformations métiers en bâtissant “des partenariats forts et continus avec les Directions métiers”. Conseiller et stratège, le CDO ne rompt pas avec la Tech. Au contraire, il s’inscrit en parallèle “dans les grands programmes de transformation SI et digitaux en tierce partie transverse.”
Les quatre mousquetaires : business, tech, digital et data
Decathlon est passé de la théorie à la pratique. L’entreprise est structurée autour de six business domains. Dans chaque, travaillent de concert “les quatre mousquetaires” (business, tech, digital et data). C’est le “four in the box”, un concept inspiré de Walmart.
“Ces quatre personnes collaborent pour définir leur roadmap du futur.” Et dans cette organisation, la Data devient partie prenante de la transformation. “Il est de notre responsabilité de sortir de notre zone de confort et de ne pas nous cantonner à la tech. Il faut aller beaucoup, beaucoup plus loin et c'est ce qu'attend le métier”, confie Didier Mamma.
C’est pour mieux saisir les attentes des métiers et les convertir que Carrefour a lui aussi adopté une approche 4-in-the-box et déployé une centaine de Data Translators dédiés pour les différentes verticales métiers. Ces profils sont “le trait d’union entre le métier et l’expertise en data science”, comme les décrit Arnaud Grojean, le Chief Data & Analytics Europe de Carrefour.
Le CDO de la grande distribution fait également de la Data Culture une des fondations de sa stratégie. Pour se mettre en œuvre, ce pilier a besoin du concours des ressources humaines, partenaire clé du Data Office.
Cette direction participe à la diffusion des compétences Data dans l’entreprise, à l’acculturation des employés comme des dirigeants et à l’accompagnement des mutations des emplois par l’IA grâce à des programmes de formation.
DRH et DSI, des partenaires clés et critique sur la Data
Un autre partenaire est essentiel à la réussite des initiatives de valorisation des données. Il s’agit de la Direction des Systèmes d’Information (DSI), à laquelle le Data Office se doit d’être connecté. Les échanges entre CDO et DSI ne devront pas être à sens unique. De fait, en 2023, 39% des Directions Data étaient rattachées aux DSI - un chiffre en augmentation constante depuis 3 ans.
Les deux ont à gagner de leur collaboration (et l’entreprise dans son ensemble). Ekimetrics relève d’ailleurs que les DSI sont de mieux acculturées à la Data et que leurs relations s’améliorent, grâce notamment à des mandats respectifs qui se “clarifient.”
Facteur de succès des projets autant que signe d’un rapprochement, l’hybridation des compétences Data et IT s'accentue. Des métiers comme ceux de Data Engineer et de Machine Learning Engineer en sont une illustration.
Pour réussir, CDO et DSI sont également plus enclins à synchroniser leurs feuilles de route. Une bonne nouvelle pour l’évolution des socles Data et leur adaptation aux attentes des métiers et au développement du self-service Data & IA.
Les départements L&D et RH sont également de véritables moteurs de la transformation data-driven. En intégrant les compétences data au cœur de l’organisation, ils transforment les équipes et accélèrent ainsi l’instauration d’une culture data-centric. Leur rôle va bien au-delà de la formation : ils brisent les silos, mobilisent les managers et créent un terreau fertile pour que l’IA et l’analytique deviennent des leviers concrets de performance dans chaque métier.
CDO, DRH et DSI constituent ainsi à eux trois un trio de transformation, à condition d’être perçus par les dirigeants comme des acteurs stratégiques et créateurs de valeur et non de simples centres de coûts. Pour autant, ce sont bien tous les C-level qui doivent participer aux efforts autour de l’adoption de la Data et de l’IA.
Relation clients, RSE, logistique, marketing, finance… toutes ces fonctions ont leurs propres cas d’usage et gains à attendre. Leurs besoins ne seront adressés efficacement que si elles savent elles aussi devenir des partenaires du Data Office.
Comme le conclut très bien Romain Paillard, co-fondateur et General Manager Le Wagon for Business, "Nous sommes convaincus que la Data ne doit pas rester confinée aux experts. Elle doit être mise au service de chacun pour décloisonner, aligner les équipes et maximiser son impact dans toute l’organisation. Il faut absolument s'adresser à tout le monde".